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29 octobre 2008

Singapour et l'"autre capitalisme "

Le Monde - 29-10-2008

L'anecdote remonte au début des années 1980 : au cours d'une tournée en Asie, Deng Xiaoping s'arrête à Singapour. Il a une brève conversation avec Lee Kuan Yew, le père-fondateur de la cité-Etat. Il en repart convaincu que la Chine doit se moderniser. Et que, pour se moderniser, il n'y a qu'un moyen : s'ouvrir au monde extérieur et développer les échanges. Etait-ce la naissance d'un " capitalisme asiatique " qui allait, en comptant l'Inde et l'Asie du Sud-Est, toucher près de trois milliards d'individus ? L'attitude des uns et des autres dans la crise financière et économique qui secoue la planète est instructive. Par une ironie de l'histoire, tout se passe comme si les Chinois étaient les plus ardents défenseurs du système - économique - libéral. Les plus soucieux de se référer à Adam Smith et à " la main invisible du marché ", quand les Occidentaux, et d'abord les Européens, redécouvrent avec délice les bienfaits de l'Etat.

Le paradoxe est plus profond. Sans parler de la Chine, qui, au cours des trente dernières années, a concilié le dynamisme économique avec un système politique ne s'éloignant que très lentement du communisme, Singapour n'est pas un exemple de démocratie libérale à l'occidentale. Si la ville-Etat ne connaît pas le régime du parti unique, pratiquement un seul parti, celui du fondateur Lee Kuan Yew, est représenté au Parlement. La presse est libre, mais dans des limites fixées par l'" intérêt national ", étroitement défini. L'économie est fondée sur la méritocratie, la promotion des meilleurs, fussent-ils étrangers. En revanche, le monde politique obéit à des critères qui privilégient autant le conformisme que le talent. Un système politique se caractérise aussi par la manière dont se transmet le pouvoir. A Singapour, la question de la succession de la famille Lee est un sujet dont on ne parle, dans de petits cercles, qu'en termes sibyllins.

Et pourtant, la question du rapport entre l'économie capitaliste ouverte et le régime politique taraude les intellectuels et concerne tout le monde. Kishore Mahbubani, recteur de l'Ecole Lee Kuan Yew de politiques publiques à l'université de Singapour, reconnaît que " les principes d'Adam Smith - ont - eu des effets révolutionnaires sur la pensée asiatique. Adam Smith a clairement établi que la liberté de chaque individu (...) conduira à de nouvelles perspectives sur la condition humaine ". Dans son livre Le Défi asiatique (Fayard, 326 p., 22 ¤), cet ancien diplomate qui a représenté Singapour à l'ONU affirme que les concepts qu'il utilise pour décrire le monde sont " occidentaux " et en même temps que l'Occident est sur le déclin, un déclin au moins relatif par rapport à l'essor de l'Asie.

Ce transfert d'ouest en est se mesure plus en termes de puissance que de valeurs. L'Occident devrait reconnaître que sa relative faiblesse est la conséquence de son succès. " Certaines valeurs occidentales sont universelles, explique Kishore Mahbubani dans une ancienne maison coloniale britannique de Singapour transformée en restaurant italien au chic sobre, mais l'Occident devrait se garder de s'ériger en donneur de leçons. " D'autant qu'il tend de plus en plus à faire montre d'incompétence dans la gestion des défis mondiaux. Et d'énumérer les conflits régionaux que les Etats-Unis et l'Europe sont incapables de prévenir ou de résoudre.

La crise actuelle est une illustration supplémentaire de cette incompétence. Les Asiatiques, y compris les Chinois, modèrent toutefois leurs critiques, car ils savent bien que les théories du " découplage " entre les économies émergentes et occidentales sont illusoires, et le capitalisme " asiatique " une fiction. Tout le monde est dans le même bateau.

Daniel Vernet

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